Retour d’Amérique. Vingt ans après : Chronique n°4
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Je publie ici chaque quinzaine une chronique à propos d’anecdotes vécues aux États-Unis d’Amérique à la fin des années 80 et au début des années 90. Je m’attacherai à mettre en face de chaque anecdote, un événement similaire ou apparenté que j’ai vécu en France après mon retour d’Amérique.
Aujourd’hui, l’Amérique noire. Deux anecdotes :
1/ Toujours dans l’ascenseur, lieu de grande convivialité, comme je l’ai signalé dans une de mes chroniques précédentes. Lorsque je me retrouve seul dans un ascenseur avec un Noir américain, comme tout Américain, il va commencer par m’adresser la parole pour briser le silence. Deux cas se présentent : il va me dire en anglais : « vous êtes français Monsieur », ou s’il est polyglotte, ou juste pour me faire plaisir, il me dira en français :
« Bonjour Monsieur ».
Je lui demande alors comment il sait que je suis français. Il me répond que c’est à cause de mon regard et du langage non verbal qui y est associé.
Français d’abord, je ne suis pas américain, et je ne ploie pas sous la culpabilité ou la culture de l’excuse. L’esclavage est encore présent dans l’esprit de tout Américain, et n’avait été aboli, en 1990, que depuis moins d’un siècle et demi. Les Français en Amérique ont l’habitude de regarder les Noirs comme des êtres normaux, sans en rajouter dans la politesse ou l’enthousiasme à participer à une conversation, comme pour faire oublier ce passé pas si lointain et encore douloureux.
J’avais déjà remarqué que les Français, en voyage ou séjournant dans des terres lointaines, se faisait remarquer comme tel, avant même d’ouvrir la bouche. À Karachi, par exemple, dans un bazar, pendant que je contemplais silencieusement les multiples fruits secs entassés dans des sacs et offerts à la vente, le vendeur pakistanais m’interpelle pour me signifier qu’il avait compris que j’étais français. Et classiquement je lui pose la question pour savoir comment il a pu deviner. Il me répond en disant que les Français réfléchissent toujours avant d’acheter alors que les Américains sortent leurs liasses de billets. D’autres ressortissants d’autres nationalités pensent d’abord à marchander ou n’achètent jamais rien.
Pour en revenir à mon Noir américain, je pense à la relation particulière qu’avaient les colons français avec les autochtones du temps de la Nouvelle-France : plus conviviale, moins brutale que celle des Anglais, selon les chroniques du temps. Cette réputation qui traîne dans le sillage de tout Français se déplaçant en Amérique du Nord, facilite les rapports non seulement avec la minorité noire mais aussi avec les Amérindiens, que j’ai pu rencontrer dans quelques réserves de l’Ouest. Mais cela fera l’objet d’une autre chronique.
2/ Je suis en visite dans une université américaine du Sud profond, comme celle qui a été décrite par Philippe Labro dans son livre « L’étudiant étranger ». Pelouses immaculées, arbres en fleurs, colonnades blanches, étudiants studieux mais, premier détail, quasiment à 100 % d’ethnie dite caucasienne, selon la terminologie américaine, qui veut dire blanche. Au détour d’un escalier, entre deux rendez-vous, je croise un balayeur, appartenant à la communauté noire, avec un chapeau de paille. J’avais déjà remarqué que tous les personnels subalternes étaient Noirs américains, secrétaires, jardiniers, cuisiniers, agents de sécurité. À mon grand étonnement, il se découvre et incline la tête respectueusement pour me saluer. À ce moment-là, j’ai éprouvé un véritable malaise et je me suis souvenu de la recommandation de mes collègues de la Nouvelle-Angleterre, tous WASP (White anglo saxon protestants), quand je les ai informés de mon voyage en Caroline du Nord :
« N’allez pas là-bas ».
Je me suis rendu compte que le poids de l’histoire m’empêchait d’avoir des rapports décomplexés avec les Noirs américains, comme on peut les avoir en France avec nos concitoyens, par exemple guadeloupéens. La pente me semblait vraiment difficile à remonter ; en tout cas c’est une des raisons pour lesquelles j’ai refusé de prendre le poste qu’on m’offrait dans cette université Je ne me sentais pas capable, par anticipation, d’affronter quotidiennement cette contradiction entre le Français décomplexé que j’étais, et tous les autres, c’est-à-dire les Américains, embarrassés par leur histoire malheureuse.
Aujourd’hui en France, les relations interethniques, avec le temps, dans certains cas, sont devenus plus difficiles, plus séparées aussi ; culpabilisation, ressentiment, sont désormais davantage dans l’air du temps.
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